Ces dames les ronds-de-cuir

Courteline, avec Messieurs les Ronds-de-Cuir, n’a pas tout dit sur les ministères ; il restait à évoquer ce qui dans bien des cas, est devenu de nos jours l’élément capital de ces mondes clos : l’élément féminin. A la fois documentaire précis et roman plein de verve, simple satire et romance douce-amère, le livre d’Anna Pasquin nous introduit dans la « Haute-Maison » où Pénélope troque son métier à tisser contre une machine à calculer, où Mme Putiphar meurt dix fois le jour pour un Joseph chef de service, où les rêves s’épinglent au fond des tiroirs avec un trombone de laiton, où les vengeances se mijotent sous un abat-jour vert, entre deux feuilles de « papier-minute », où, enfin, des femmes écartées de leur mission traditionnelle, en viennent à adorer, dans les dossiers, un Veau de Carton. Autour de la narratrice, l’aguichante Carmen Donduciel, l’obèse Marion Corabœuf, la rigide Berthe Dupont-Quentin et bien d’autres, blondes ou brunes, rousses ou grisonnantes, déroulent au fil des semaines leurs haines ou leurs amours, leurs ambitions ou leurs regrets. Corrosif et souriant, léger et profond, le roman d’Anna Pasquin nous restitue sous tous ses aspects (du croquis caricatural à la tragédie secrète) cette société féminine, enfer des âmes simples et champ de bataille des « chevaux de retour », paradis de la paresse et merveilleux prétexte à la fantaisie d’un écrivain lucide, dynamique, parfois inquiétant, mais doué toujours d’un vivant pouvoir de sympathie.