L’Étincelle

Adèle Huguenin-Vuillemin est née au Locle, en 1856, dans une famille d’horlogers. Ceux-ci sont ruinés par la crise de 1870 et Adèle doit travailler. Elle devient institutrice à 16 ans. Mais le salaire d’une institutrice est fixé par la loi au tiers de celui d’un instituteur. Ce livre contient une table des matières dynamique. Extrait : Comme tous les soirs, les deux vieillards écoutent la lecture du journal, que leur fait Mlle Célanie de sa voix basse et monotone dont toutes les intonations sont tristes. Le grand-père, si vieux, si vieux, a sur le visage une pâleur grise qui semble morte au milieu de la blancheur soyeuse et vivante de sa longue barbe. Par contraste, la figure flétrie et ridée de l’autre vieillard, scrupuleusement rasée, a gardé de sa carnation d’autrefois les teintes violacées d’un fruit qui a passé l’hiver. Le grand-père, pour mieux écouter et pour ménager ses yeux, les a fermés ; ses deux mains longues et maigres, aux ongles polis comme de l’ivoire, sont allongées sur les bras du fauteuil ; il ne fait pas un mouvement, tandis que le cousin Clovis remue sans cesse, balançant son pied que chausse une pantoufle verte, et s’amusant à entrelacer ses doigts de toutes sortes de manières… Autrefois, Zoé aimait à voir le cousin Clovis faire de ses doigts un berceau, un panier, deux scieurs de long ou un petit homme dans un puits ; perchée sur les genoux du bon cousin, elle agitait ses petites mains molles pour imiter les vieux doigts osseux qui se croisaient et se décroisaient si vite… Autrefois, quand elle était petite… le cousin Clovis et le grand-père étaient alors aussi vieux qu’aujourd’hui, déjà tremblants, cassés, frileux… Zoé rêvait à cette chose étrange, à ces deux existences immobiles entre lesquelles sa petite vie avait poussé si vite, comme un brin d’herbe entre deux pierres. Quand Zoé était née, l’aïeul, père de son grand-père, avait déjà quatre-vingts ans ; il n’avait pas changé depuis lors. Quand on est si vieux, on ne change plus.