La fille de la pe^cheuse

Sur les rives des baies, que les harengs ont choisies depuis longtemps pour leurs refuges habituels, s’élèvent, d’ordinaire, quand les circonstances le permettent, des petites villes. Non seulement on peut dire de ces villes qu’elles sont sorties de la mer, mais même que, de loin, elles ressemblent à des débris de navires naufragés jétés à la côte par les vagues ou à un groupe de barques que les pêcheurs ont halées sur la grève pour les mettre à l’abri des tempêtes. En approchant, on s’aperçoit que les maisons ont été baties au hasard : il n’est pas rare qu’au milieu d’une rue on rencontre quelque épave : la mer en certains endroits envahit même la ville à marée haute ; les rues sont tortueuses et s’étendent à droite et à gauche, sans plan determiné. Toutes ces villes ont cependant une qualité qui leur est commune : leur port offre un asile recherché par les plus grands navires ; ils y sont aussi bien abrités que dans une boîte. Aussi ces baies sont elles appréciées par les marins qui y cherchent un refuge quand la tempête a déchiré leurs voiles et enlevé leurs plats-bords. Ces petites villes sont calmes ; tout le mouvement est concentré sur les quais, où sont amarrés les bateaux de pêche et où l’on charge et décharge les navires. Dans la ville où se passe l’histoire que nous allons raconter, l’unique rue suit le quai et se trouve bordée de l’autre côté par des maisons en briques rouges et blanches, à un seul étage ; ces maisons ne sont pas contiguës, mais bien séparées par de jolis petits jardinets. Cette rue longue et large constitue donc la ville, et, quand la brise souffle de la pleine mer, on peut deviner à l’odeur quelles sont les marchandises qu’il y a sur les quais. Les habitants sont paisibles, non par crainte de la police, d’ordinaire il n’y en a pas ; mais parce qu’ils ont peur des cancans, car ils se connaissent tous les uns les autres.