Julien des fauves

Le jour était venu. Au-delà de ce monde pétrifié qui déjà lui parlait, l'espoir de la matière... Et, dans cet immense sarcophage cosmique, dans ces vents où remontaient les morts et les vivants, sa pensée lui criait, couvrant le fracas des branches arrachées et des roseaux hurleurs : Il faut rallumer la flamme, parfois impure, des dieux qui font les hommes ; il faut nourrir ce souffle et alors, peut-être, un enfant retrouvera-t-il le sable fin de la vallée... Julien la brute, fils des Mahé insensibles et bornés, Julien des fauves, allaité d'ignorance, Julien de l'indifférence et de l'égoïsme, sans tendresse ni pitié, Julien des yeux cousus et de la mémoire bloquée, ce Julien-là s'effaçait, disparaissait, laissant place à un autre. Un autre homme, vieillard de lui-même et nouveau-né de celui-là. Un autre homme, insomniaque sans fatigue qui, dans le fabuleux grouillement des nuits, appréhendait la matière, tentait de déceler la brisure d'un cercle qui n'aurait dû avoir ni commencement ni fin, marquait, ici et là, ses repères et cherchait à savoir, enfin, qui était comptable des mouvements, des espaces, des formes, des signes et des nombres. Julien Mahé était-il celui qu'attendaient, depuis si longtemps, des millions et des millions d'hommes ?