Les loques

Des loques, délavées par les pluies, usées jusqu’à l’effilochement, douces et fragiles, soulevées un peu par le vent, telle est l’image qu’évoquent les familiers de ce terrain vague, hérissé de baraques au bord de la Loire. Miettes d’humanité eux-mêmes, ils vivent des miettes de la société qu’ils ne connaissent qu’à travers l’hôpital ou le commissariat de police. Qu’il s’agisse de Maillard ou d’Adèle — le couple-clé de la communauté —, des amoureux Georges et Annie, du chaste et pieux Duverger, de la mère Clément et de sa petite ménagerie, ce sont des irréductibles. Ils ont fait vœu d’inconfort, de famine, d’indignité et de maladie. Il y a certes la tentation du travail et du lucre, représentée par le monceau de ferraille d’une entreprise de récupération. Le triage des métaux est un labeur éminemment rentable. Mais si Bertin a succombé à la séduction de l’embourgeoisement, c’est dans la honte et le remords : parfois ses beaux vêtements le brûlent, sa belle cravate l’étrangle. Avec une justesse de ton et de touche qui frappe dès les premières lignes, Serge Godefroy a su créer un élément et des personnages d’une extrême nouveauté dans les lettres contemporaines. Son réalisme tendre ne se rattache à aucun antécédent, et il serait surprenant qu’il ait jamais des imitateurs.